La musique permet de rendre visibles des choses invisibles à nos yeux. Les oreilles n’ont pas de paupières. » En 2022, Olivier Covo lance Mangroove Music, le premier label musical à impact social et environnemental au service de l’écologie. Le producteur artistique, qui cite aussi bien les moines tibétains que les revues scientifiques de pointe, possède plusieurs vies professionnelles derrière lui. D’abord entrepreneur et informaticien, puis designer et spécialiste du marketing, il a également fondé un centre d’études sur l’impact du son, géré le théâtre de l’île de Gorée, au Sénégal, et pratiqué l’ethnomusicologie en compagnie de griots.
C’est au Brésil que l’idée de créer un label pas comme les autres naît dans l’esprit du passionné de percussions. Ancien hyperactif devenu « méditant » après un burn-out, Olivier Covo aidait alors des amis belges à organiser un festival de kite surf lors d’un voyage familial. « L’événement se déroulait à proximité d’une mangrove, raconte-t-il. Nous avons demandé aux spectateurs de regarder plutôt l’événement en ligne afin de ne pas l’abîmer. En échange, chaque ticket acheté permettait de planter un arbre dans la mangrove. »
Ecosystème à la fois puissant et fragile, les mangroves représentent 1 % des forêts tropicales. Ces véritables puits de carbone génèrent des ressources pour les populations côtières et jouent un rôle de défense naturelle contre les cyclones. Lorsqu’il décide de créer un label à vocation écologique, le nom s’impose très rapidement à son esprit : « La mangrove m’a paru être l’arbre totem parfait pour symboliser un écosystème, c’est-à-dire la beauté, la fragilité, la puissance de la planète sur laquelle nous vivons et à laquelle nous sommes liés. »
La musique comme incubateur de récit
Depuis sa naissance, Mangroove se donne pour mission de transmettre des messages à portée écologique afin de provoquer des engagements. « On n’invente rien », assure Olivier Covo, en citant l’engagement de Bob Dylan contre la guerre du Vietnam ou de Marvin Gay contre les injustices raciales. « Là où s’arrête le pouvoir des mots commence le pouvoir de la musique » : cette citation de Richard Wagner est devenue le mantra du label qui présente les artistes comme des ambassadeurs du vivant. « La musique est un langage universel, rappelle l’ancien entrepreneur. A travers son impact émotionnel, elle peut planter le réel dans le coeur des gens, et ainsi engager le coeur et le corps avant l’esprit. »
A ce jour, de nombreux artistes ont déjà répondu à l’appel d’Olivier Covo. Au sein du projet #Wearetheocean, Deep Forest et DeLaurentis dialoguent avec des cachalots quand Youssoupha et Oumou Sangaré chantent une ode au monde vivant dans le cadre de #Wearetheforest. Zazie, Manu Katché ou encore Gaëtan Roussel ont également rejoint le projet.
« En faisant de la pédagogie sans donner de leçons, nous créons des âmes-
sons. » Conscientiser sans culpabiliser, telle est la première raison d’être de Mangroove. Mais sa mission ne s’arrête pas là. Olivier Covo voit dans la musique un élément puissant pour engager de nouveaux récits. Le label offre ainsi un espace aux artistes où s’opèrent transmission et acculturation des savoirs. « Nous nous voyons davantage comme un incubateur de
récit », précise-t-il.
« Notre deuxième phase de production créative consiste à mettre en place des dispositifs éditoriaux holistiques complets », poursuit le producteur. Loin de se contenter de leurs oeuvres musicales, les équipes de Mangroove réalisent aussi des podcasts, clips et documentaires afin de compléter ces récits. Artistes et scientifiques s’y côtoient dans une volonté de transmission auprès du grand public. En partenariat avec le CNRS, le label a par exemple donné la parole à François Sarano, l’ancien conseiller scientifique de Jacques-Yves Cousteau.
Au sein du projet #Wearetheocean, Deep Forest et DeLaurentis dialoguent avec des cachalots.
Des projets concrets
« La grande différence entre le storytelling et le récit, c’est que le premier présente souvent un décalage entre la promesse et l’engagement concret sur le terrain. On entre alors dans la catégorie du greenwashing. » Bien décidé à ne pas tomber dans ce travers, Olivier Covo a eu à coeur d’incarner ces nouveaux récits musicaux sur le terrain. Pour ce faire, la structure travaille main dans la main avec de nombreuses associations symboliques, à l’image de Sea Shepherd.
Chaque projet est relié avec des actions qui ont pu voir le jour dans le monde entier. En 2022, l’opération #Wearetheforest, portée par la collaboration entre Youssoupha et Ouma Sangaré, a permis de soutenir l’association Eclosio dont les activités consistent à renforcer les activités socio-économiques des communautés vulnérables à la mondialisation et aux changements climatiques.
Quelque 85 % des bénéfices du label sont reversés aux associations qui agissent sur le terrain, les 15 % restant servent à pérenniser leur action. Mangroove a aussi pu compter sur le soutien de structures comme l’Ademe et la Fondation Prince Albert II de Monaco. « A travers cet incubateur de récit, l’idée est de créer un centre de dotation pour pouvoir opérer avec des artistes partout dans le monde, » explique Olivier Covo.
Renouer avec les savoirs
Grâce à l’ensemble de ces actions, le producteur entend bien participer à résoudre ce qu’il appelle « une crise de l’interrelation ». « Si nous étions en interrelation de manière plus profonde avec ce qui est vivant en nous et à l’extérieur de nous, nous ne serions pas autant déconnectés de la réalité du monde vivant », affirme-t-il.
Passionné par les intelligences animales, Olivier Covo pourrait discourir pendant des heures sur les comportements des cétacés. La bioacoustique lui a notamment permis de mieux comprendre les interactions sociales et la perception sensorielle des dauphins. « Nous sommes tous vivants et intelligents en même temps, insiste-t-il. Nous sommes l’environnement dans un ensemble. »
Dans notre culture à dominante visuelle, le créateur du label voit dans la musique la possibilité de renouer avec les savoirs encore transmis au sein des populations autochtones. Et il compte bien pérenniser les messages dans le temps. « La musique va permettre de remettre au goût du jour ces connaissances et de les transmettre au plus grand nombre, puisque nous allons travailler avec tous les styles musicaux. Notre idée est d’intégrer une communauté hybride et sensible qui aime la musique pour qu’elle comprenne un peu mieux ce qu’est l’écologie au sens littéral : la science de la maison. »
Perte de la biodiversité, réchauffement des océans ou encore blanchiment des écosystèmes coralliens sont autant de sujets auxquels les artistes de Mangroove vont d’atteler. Mi-octobre, le label devrait faire une grande annonce à l’occasion du Marché des musiques actuelles (MaMA) qui réunit à Paris l’ensemble de l’industrie musicale. De nouveaux titres verront le jour à compter de janvier 2025. Certains dispositifs permettront même de faire converser en musique chants animaux et artistes.
Alors que les années à venir s’annoncent troubles, celui qui se proclame « artiviste » souhaite faire cohabiter poésie, radicalité et pragmatisme. « Les fissures laissent passer la lumière. Il va donc falloir provoquer ces fissures pour que la lumière passe. » Dans des moments de transformations difficiles mais nécessaires, Mangroove veut faire des artistes de véritables passeurs de mondes.
Charlotte Meyer
Vous pouvez retrouver l’article dans Les Échos.
Le lien : https://www.lesechos.fr/weekend/planete/mangroove-le-label-qui-met-lecologie-en-musique-2114463